Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
oeilinfo.com

Obama s’intéresse de près à nos cerveaux

7 Avril 2013 , Rédigé par Stéphane Publié dans #international, #Science, #Politique

Obama s’intéresse de près à nos cerveaux

Un grand plan cerveau a été officialisé par le président Obama jeudi 4 avril.

La science est devenue depuis au moins un siècle un enjeu politique dont le souci affiché par les dirigeants s’est accentué progressivement pendant les décennies de l’après-Guerre. Les Américains ont vite compris le lien entre les progrès scientifiques et les stratégies géopolitiques. La bombe larguée sur Hiroshima a eu un impact sur les stratèges et autres conseillers du prince. Sans la science atomique, cette victoire éclair sur le Japon impérialiste n’aurait pas été possible. La science est donc devenue un enjeu majeur et déterminant dans les deux secteurs dominants de l’activité humaine, celui des Etats et de la politique, celui des industries et du profit. Et comme les productions issues de la science impactent les existences individuelles, l’enjeu s’est fait également social, avec la société plus ou moins contrôlée par la puissance des Etats qui s’impliquent dans la plupart des secteurs de la vie et notamment ce secteur clé que représente la médecine, ainsi que celui des communications. Cette préoccupation pour la science est observée depuis plus de cinquante ans dans les pays très avancés, mais réciproquement, c’est sans doute parce que ces pays ont développé des politiques scientifiques qu’ils sont devenus avancés. On se souvient des agences de recherches propulsées pendant la quatrième République puis l’époque marquée par le général de Gaulle parfaitement lucide sur le rôle de la science et très volontariste pour soutenir les centres de recherches. Au Japon, les efforts nationaux pour la recherche ont largement dépassé ceux de la France, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne. Quant aux Etats-Unis, ils bénéficient d’universités très puissantes, dotées de moyens, avec des agences scientifiques fédérales tout aussi puissantes, dans les secteurs clés pour la défense et l’économie.

L’histoire retiendra le grand plan cancer déployé par les Etats-Unis au début du 20ème siècle à l’initiative de l’administration de l’époque et son président Nixon. Depuis, les résultats n’ont pas été au rendez-vous mais des tas d’autres planifications scientifiques ont été mises en place, aux Etats-Unis bien sûr mais aussi dans la plupart des pays avancés disposant d’institutions scientifiques et d’un Etat bien administré (trop diront ses contempteurs). L’histoire pourra retenir les plans japonais successifs pour soutenir les progrès dans les sciences du numérique. Dans le domaine de la santé, le projet du génome humain mérite d’être placé comme l’une des grandes aventures technologiques, comme le fut la conquête de la lune. Par contre, l’histoire du 21ème siècle ne retiendra pas le plan cancer sous les présidences Chirac puis Sarkozy, ni le plan Alzheimer, ni les thérapies géniques dont les échecs répétés ont fini par banaliser ce secteur thérapeutique. Les fidèles de la science moderne peuvent continuer à afficher leur foi, cela n’empêchera pas les critiques de penser que les avancées de la recherche médicale sont, du point de vue qualitatif, stabilisées pour ne pas dire enlisées, malgré le nombre sans cesse croissant de publications. Les financements publics et privés augmentant, il est logique que le nombre de chercheur s’accroisse mais le philosophe averti en ce domaine sait que le nombre ne garantit pas le progrès et que ce sont les trouveurs qui ouvrent des voies nouvelles. En ce moment, les chercheurs ne trouvent pas grand-chose, du moins sous forme de découverte directement applicable et susceptible d’avoir un impact sur le quotidien, autrement dit la science qui intéresse les financiers, les politiques et les médias de masse. Ce qui n’empêche pas de voir publiés des articles assez innovants qui d’ici dix ans, font faire basculer le paradigme de la nature. Mais à l’heure de la démocratie de masse, le citoyen n’a cure de paradigme, ce qui lui faut, c’est du concret, de l’efficace qui va lui permettre de résoudre tous ses problèmes…

Il n’y a rien de plus agaçant pour un gouvernant américain que d’avoir ce sentiment d’être en bout de course, de faire du surplace. L’Afghanistan comme l’Irak est en voie de normalisation (traduire, décomposition). Le cas libyen vient d’être réglé avec la mort du colonel et pour le reste, rien de bien excitant si ce n’est l’Iran et la Chine à surveiller. Alors, le président américain aimerait bien qu’on associe son nom à un grand plan et comme le volet militaire est un peu dans l’impasse, alors c’est du côté de la science qu’on trouvera un Barack Obama prêt à jouer le Christophe Colomb partant à la recherche d’un continent qui nous échappe, celui du (de notre) cerveau. Il serait question de cartographier l’ensemble des réseaux neuronaux, un peu comme il y vingt ans les généticiens projetèrent de séquencer le génome complet. Bien évidement, Obama ne sait pas ce que signifie exactement cartographier le cerveau, pas plus que les citoyens que nous sommes, ni même la plupart des neuroscientifiques. Néanmoins, l’essentiel pour que ce plan puisse voir le jour est que quelques conseillers scientifiques de la Maison Blanche soient suffisamment influents pour que l’administration mette la main à la poche. Et c’est ce qui sera annoncé ce jeudi par le président américain, avec une mise de départ de 100 millions de dollars, pas énorme mais des milliards vont suivre après 2014. Le projet a été pensé lors d’un congrès de neurosciences tenu à Londres fin 2011. Depuis, les conseillers du président sont convaincus que le Brain Activity Map project (rebaptisé par l’administration BRAIN, Brain Research Through Advancing Innovative Neurotechnologies) sera un grand challenge pour le 21ème siècle (plus précisément, un grand challenge pour l’administration Obama).

N’étant pas précisément au fait du projet, je ne peux qu’évoquer les débuts de controverse avérés et si la communauté scientifique est enthousiaste dans son ensemble, quelques voix dissonantes se font entendre. Ce projet est interdisciplinaire et va associer les neurosciences, les nanotechnologies et les sciences du traitement de l’information. Pour les chercheurs, l’excitation est due à la croyance envers l’enjeu qui repose plus sur un fétichisme technologique que sur des concepts solides et sans doute aussi, sur la perspective de recevoir des fonds spéciaux. La science n’étant qu’un instrument dans cette affaire. Quelques interrogations se dessinent mais n’iront pas jusqu’au stade de controverse puisque, en transposant le principe de Gabor, ce dispositif est réalisable donc il sera réalisé. Une dream team de scientifique est même annoncée pour piloter ce vaste projet.

A noter la participation du NIH mais aussi d’agences dévolues à la défense. Les défenseurs du projet mettent en avant des perspectives innovantes dans le traitement d’Alzheimer, de l’épilepsie et de traumatismes cérébraux. Mais on peut tout aussi bien suspecter quelques intentions de contrôle social et des applications dans ce sens. La science est un Janus à deux faces. Les meilleures intentions présidant à l’invention technologique peuvent être facilement détournées par les pouvoirs en place. Tout dépend des possibilités d’application pouvant en découler. Le candide pensera inévitablement à un projet diligenté par des apprentis sorciers. Un changement de paradigme est même invoqué par le Dr Newsome. Ce qui nécessite une réflexion éthique qui devrait être associée au projet, histoire de freiner les aventures un peu trop limites et de rassurer le public.

Après les enjeux sociaux et politiques, la réflexion de fond reste quand même scientifique. On peut se demander si ce changement d’échelle quantitative est capable de produire une avancée qualitative. Multiplier par cent le nombre de sondes placées sur le cerveau et augmenter la puissance de calcul permettra-t-il de comprendre différemment le fonctionnement cérébral ? On ne peut répondre à cette question pour l’instant mais je suis certain qu’en y réfléchissant avec les éléments disponibles, un avis éclairé puisse se dessiner. Sinon je ne suis pas certain que ce genre de recherche puisse faire avancer le traitement des pathologies comme Alzheimer. A moins d’un miracle.

Le mot final sera accordé à l’un des scientifiques les plus critiques à l’égard du projet, Donald Stein, qui n’y va pas par quatre chemins et pointe directement les failles majeures de ce dispositif qui vise à utiliser de manière intempestives les technologies en espérant prendre dans les mailles du filet expérimental les grandes découvertes pouvant être transposées en théories inédites. C’est mettre la charrue avant les bœufs et comme le suggère le sage Stein, il faudrait d’abord procéder à une recherche conceptuelle qui pourrait indiquer ce qu’il faut mesurer et chercher, plutôt que de mettre des sondes partout. Connaissant un peu le développement des sciences, je tiens ce précepte pour être très utile à notre époque où la faiblesse de la science est conceptuelle et non pas expérimentale, contrairement à la science des siècles passés forte de ses découvertes dépendant des expériences, en conjonction avec le travail théorique (Planck, Darwin, Watson et j’en passe). Je suis en effet convaincu qu’il faut façonner la cible pour tirer les flèches expérimentales, plutôt que de balancer des tonnes de flèches dans la masse en espérant trouver une cible pertinente.

Le plan cerveau d’Obama risque d’être un leurre de prestige politique. Les gens sont fascinés dès lors que le système s’agite et tire des plans et des flèches dans tout les sens. Même si ça ne produit aucune avancée notable, ça flashe comme un feu d’artifice dans la conscience des masses contemporaines. Coluche se demanderait si le plus utile ne serait pas de greffer un cerveau à nos politiciens. Le plan cerveau risquant en effet d’être aussi limité dans ses perspectives que le séquençage de l’ADN et sans doute aussi vain que le plan cancer.

Source:agoravox

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :